À l’aube de la saison 1956-1957, l’AS Monaco commence à s’installer progressivement dans l’élite du football français. La saison précédente, Monaco termine le championnat de D1 à la troisième position, mené par un des tous premiers meneurs de jeu de son histoire, Raoul Conti. Mais l’Argentin s’en va rejoindre la Juventus Turin. Monaco se retrouve privé de son créateur alors qu’elle doit s’affirmer dans ce championnat. Pour cela, il faut garder son effectif, ce que l’ASM parvient à faire, et renforcer son arrière-garde. La gardien Henri Alberto s’engage sur le Rocher. Signe aussi un défenseur de 24 ans, qui possède déjà une excellente réputation. Raymond Kaelbel arrive de Strasbourg où il a débuté sa carrière en tant que professionnel en 1950. Entre la première et la deuxième division, Kaelbel va disputer 165 rencontres et inscrire neuf buts avec le Racing.
Rapidement, le défenseur se démarque de ses partenaires. Dès 1954, il rejoint l’Équipe de France et va être lancé dans le grand bain, puisqu’il est convoqué pour disputer la Coupe du monde qui se tient en Suisse cette même année. Mais c’est avec l’AS Monaco, qu’il rejoint à l’été 1956, que son aventure en bleu s’écrira vraiment, par trente sélections avec en point d’orgue la très bonne Coupe du monde 1958 que la France achève à la troisième place. Souvent présenté comme un défenseur central, la vraie force de Raymond Kaelbel reste sa polyvalence. En sélection, Kaelbel évolue surtout comme un arrière droit et lorsqu’il arrive en Principauté, le poste de défenseur axial, dans la défense à trois, est dévolu à un autre joueur très talentueux, Mustapha Zitouni. Le destin de ce dernier basculera en 1958, lorsqu’il décidera de renoncer à sa carrière pour rejoindre l’équipe du FLN, dans le contexte de la guerre d’Algérie. Dès lors, Kaelbel récupère la place désormais vacante. Mais il ne se contente pas de défendre. Il est préposé au dépassement de fonction.
Un défenseur offensif
Sur les cinq saisons disputées avec l’AS Monaco, il va inscrire 27 buts, le tout en 185 rencontres, un score rare pour un défenseur. Certes, il transforme huit pénaltys mais Kaelbel fait souvent des malheurs de la tête dans la surface adverse. Bon technicien, le natif de Colmar est habile des deux pieds et n’hésite jamais à porter le danger vers l’avant, allant parfois même jusqu’à terminer certaines rencontres comme avant-centre. Et surtout, il se fait une belle réputation par la qualité de ses tacles glissés, un geste que peu maitrisent et qu’il affectionne tout particulièrement. Ses successeurs en France, comme Marius Trésor, s’en inspireront : «Avant d’être défenseur, je jouais attaquant, en Guadeloupe*, déclarait Trésor àSud-Ouest*, en 2020.Le grand frère d’un coéquipier, qui jouait en banlieue parisienne et était là en vacances, sur le terrain à 50 m de chez moi, montrait à son frère comment tacler, en prenant exemple sur un ancien international, Raymond Kaelbel de Strasbourg. Je regardais ses gestes.»
Très vite, Raymond Kaelbel s’impose comme l’un des meilleurs défenseurs de la planète, ni plus ni moins. Lors de sa première saison en Principauté, accompagné de Zitouni et Thomas, l’AS Monaco termine l’exercice à la cinquième place, avec la défense la plus hermétique de D1 (44 buts encaissés). Mais pas de titres à l’horizon, ce qui frustre l’Alsacien : «J’étais presque prêt à partir, comme j’avais été contacté par le Stade de Reims», avait-il avoué à Norbert Siri. Mais Kaelbel va rester et devenir rapidement le patron de cette équipe, son capitaine. Avec l’arrivée à la tête de l’équipe de Lucien Leduc, l’ASM va entrer dans une période faste, portée par une génération dorée : «C’est bien lui qui a ouvert de nouveaux horizons à l’AS Monaco», expliquait-il.
Premiers succès
Avec Leduc, l’ASM va enfin se « dépuceler » puisqu’elle va remporter la Coupe de France en 1960, après avoir battu Saint-Étienne (1-1, 4-2 a.p.). Dans les tribunes, le Prince Rainier remet le précieux graal au capitaine Raymond Kaelbel, qui restera, pour l’éternité, le premier capitaine asémiste à soulever un trophée. L’histoire va continuer de s’écrire pour l’AS Monaco puisque les Rouge et Blanc, désormais ornés d’une Diagonale en passe de devenir iconique, remporteront le premier championnat de France de leur histoire la saison suivante, ainsi que la Coupe Drago. Cette saison-là, Kaelbel jouera moins pourtant (33 matchs toutes compétitions confondues).
Lucien Leduc en parlera dans le numéro de juillet 1961 deFootball Magasine: «Cette saison, il y a eu le cas Kaelbel. Raymond n’a pas joué tous les matches. Je pense que c’est une question nerveuse car, physiquement, il est intact. L’année dernière il a produit des efforts qui l’ont marqué, ce qui fait qu’il n’a pas recommencé avec son autorité légendaire, ce qui fait aussi qu’il a dû douter un peu de lui-même. Il ne faut quand même pas oublier qu’il a fait pas mal de matches que nous avons gagnés. Contre Lens, il a marqué les deux buts de la victoire ; à Rouen, il a marqué le penalty qui nous a permis de mener à la marque. D’autre part, il est certain que la réussite de Ludo lui a porté ombrage. Une certaine préférence pour le poste d’arrière central n’a pas contribué à le remettre en confiance. Mais Raymond est à un âge ou un joueur doit être en pleine possession de ses moyens et il doit revenir au premier plan.»
Départ à contre-coeur
L’AS Monaco ne lui donnera pourtant pas l’occasion de revenir au premier plan. Raymond Kaelbel dispute son dernier match en Rouge et Blanc lors du Challenge des Champions, ancêtre de l’actuel Trophée des Champions, remporté à la pièce contre Sedan. Un dernier trophée en poche, l’Alsacien part à contre-cœur. Selon Norbert Siri, c’est un différend avec le président de l’époque, Antoine Romagnan, qui le pousse au départ, au Havre. En réalité, le club de la Principauté tient déjà son successeur : Marcel Artélésa. Comme Kaelbel, lui aussi deviendra un pilier de l’équipe de France. Alors que l’ASM s’apprête à retrouver les sommets, Kaelbel va jouer le maintien au Havre. Au bout d’un an il signe à Reims ou il finira dauphin de l’AS Monaco en 1963 et où il découvrira la Coupe d’Europe. Avant de retourner là où tout a commencé, à Strasbourg. Cinq années où il jouera encore la bagatelle de 131 rencontres, continuant d’écrire sa légende à La Meinau comme il l’a écrit au stade Louis-II, avant de se retirer à 37 ans et près de 600 match comme professionnel.