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Sören Lerby, l’incompris

Le rouge et blanc lui colle à la peau. Sören Lerby aura porté ces couleurs toute sa carrière durant, que ce soit pour représenter son pays, le Danemark, ou bien les quatre clubs avec lesquels il a traversé la seconde moitié des années 70 et toute la décennie 80. Parmi ceux-là, l’AS Monaco, dont le passage ne laissera pas un grand souvenir, mais aussi le PSV Eindhoven. C’est pourtant dans l’autre grand club néerlandais que Lerby va se révéler, plus précisément à l’Ajax Amsterdam. Entre 1975 et 1983, il va y disputer la bagatelle de 260 rencontres et remporter cinq championnats et deux coupes des Pays-Bas. Précoce, le Danois va très vite intégrer la sélection et devenir un élément incontournable de celle-ci. Dans les années 80, il sera membre de la Danish Dynamite, la génération montante danoise.

Après l’Ajax viendra le Bayern Munich. En Bavière, Lerby remporte deux fois la Bundesliga ainsi qu’une Coupe d’Allemagne. Sur les trois saisons qu’il dispute, il est élu meilleur joueur étranger de R.F.A. à deux reprises. Dans la foulée, il réalise une très bonne Coupe du monde 1986, au Mexique, où le Danemark se fait sortir en huitièmes de finale par l’Espagne. Il est alors considéré comme l’un des tout meilleurs milieux de terrain du monde lorsqu’il débarque à l’AS Monaco, ce qui passerait pour une incongruité dans le contexte actuel du club. C’est Stefan Kovacs qui l’attire sur le Rocher, à l’été 1986 : « Vous souhaitez enrôler un élément sûr, capable de s’intégrer sans l’ombre d’une difficulté. Prenez un Danois », avait-il dit. L’ancien coach de l’Ajax Amsterdam et de l’Équipe de France a bien appliqué son propre conseil, puisqu’un autre Sören, Busk celui-ci, va arriver avec Lerby.

Manuel Amoros, qui sort d’un mondial remarquable où il a été désigné comme le deuxième meilleur joueur de la compétition, se réjouit d’ailleurs de voir Lerby signer à Monaco : « Lorsque j’ai appris ce matin-là que le danois Lerby venait jouer à Monaco, je fus très heureux, très confiant et même détendu. (…) Je me souviens avoir vu jouer Lerby en Coupe du monde et aussi pas mal de matches avant, et son arrivée à Monaco me laissait rêveur. » Il faut dire que Lerby a tout pour lui. Le milieu gauche est un joueur complet. Physiquement, il est vif et puissant. Techniquement, il est capable de mettre n’importe quel attaquant sur orbite par son jeu de passe aiguisé. Et sa vision du jeu fait de lui le maître à jouer de toutes ses équipes, une vraie plaque tournante. Monaco pense donc avoir dégoté la perle rare, celle qui lui permettra de retrouver les sommets, après une saison précédente décevante sous la coupe de Lucien Muller, achevée à la 9e place.

Mais ce qui est le plus remarquable chez Lerby, c’est sa haine viscérale de la défaite. Un caractère presque sanguin. Sous la diagonale, on se souvient plus de ses coups de gueule que de ses coups de patte : « Je pars du principe que, pour obtenir un résultat, il faut en permanence se stimuler, s’encourager, en particulier lorsque l’équipe connaît une baisse de régime au cours d’un match. Ces exhortations font partie du jeu danois et, si quelqu’un me fait une remarque, je l’accepte sans rechigner », se défendait-il dans Onze Mondial, à l’hiver 1987. Lerby ne veut pas seulement battre ses adversaires, il veut les écraser : « Vous vous êtes probablement aperçu que j’avais un tempérament de gagneur, de battant ! (…) Peut-être certains de mes coéquipiers monégasques se sont posés des questions à mon sujet en début de saison. Maintenant, nous nous connaissons beaucoup mieux. Et puis, avec le handicap de la langue, il m’était délicat de me faire comprendre. »

Et cela s’est vu sur le terrain, où l’ASM patine en début de saison. Les Rouge et Blanc débutent l’exercice 1986-1987 avec deux défaites et il faut attendre la cinquième journée de championnat pour voir le premier succès asémiste, alors que la récidive n’arrive qu’à la neuvième journée. Optimiste, le milieu de terrain danois espérait toutefois une meilleure seconde partie de saison : « Bonne ambiance et climat serein riment souvent avec bons résultats, disait-il. Je me sens aujourd’hui parfaitement intégré à cette équipe où tout le monde cohabite du mieux possible. » Le gaucher prend d’ailleurs toute son importance dans la bonne série de l’automne qui voit Monaco rester invaincu pendant huit rencontres et empocher six victoires. Au printemps, Monaco évitera la défaite pendant huit matchs aussi mais avec cinq résultats nuls cette fois.

Mais en réalité, la greffe ne prend pas vraiment, entre Lerby et ses coéquipiers. Amoros témoigne : « Quelque chose s’est déréglé entre Sören et nous. Déjà, plus les entraînements passaient, plus il nous dévoilait son véritable tempérament. Pour Lerby, jouer n’existe pas. Jouer, c’est gagner. Et par n’importe quel moyen. (…) Inexorablement, un décalage s’installait. Souvent, nous faisions le contraire de ce qu’il aurait aimé que nous fassions. Nous n’avons pas compris Lerby ». L’ancien latéral monégasque s’est abstenu de rejeter la faute sur le Danois : « Pourtant, c’est un très grand joueur. Certainement le meilleur d’entre nous. Il est difficile souvent, d’accepter, en étant au faîte de son art, ou presque, une personne supérieure en tout ce qui concerne le jeu. (…) Lui, ne s’est pas rendu compte du décalage s’installant au sein de l’équipe. Sans nous en apercevoir, nous nous sommes éloignés de Lerby, au lieu de nous en rapprocher. »

Si Amoros fait preuve d’une certaine clémence envers Lerby, ce n’est pas le cas de Philippe Tibeuf, qui se rappelait dans L’Équipe, des causeries de son entraîneur de l’époque : « Kovacs faisait ses causeries en anglais, car il y avait les Danois Sören Lerby et Sören Busk. Et parfois, avec Lerby, qui était une star, ils s’engueulaient. D’ailleurs, c’est Lerby qui faisait l’équipe et, comme il ne m’appréciait pas, je ne jouais pas. » Une explication lapidaire qui aurait sans doute mérité un peu plus de développement même s’il est vrai que l’attaquant verra son temps de jeu réduit de moitié par rapport à ses deux premières saisons sur le Rocher.

En fin de saison, Lerby s’en va pour rejoindre Eindhoven. Dans les mois qui suivront son départ, il ne dissimulera pas le sentiment d’échec vécu en Principauté, tout en avouant ne pas regretter cette expérience : « Je suis professionnel. À Monaco, je n’avais pas l’impression de remplir totalement ma tâche. » Dans Sud-Ouest, il parlera d’« incompatibilité d’humeur » avec ses coéquipiers de l’époque, ressentant trop fortement le décalage au niveau des mentalités : « Le footballeur français a les qualités techniques d’un vainqueur. Il n’en a pas la mentalité », dira-t-il.

Mais cela ne sera pas le seul argument de son plaidoyer. Le football français ne semble pas lui convenir : « Outre les mentalités, il y avait à mes yeux trop de différences entre le football que j’aime et celui pratiqué en Principauté. » En cause, notamment, une approche du jeu beaucoup trop frileuse : « En France, on pratique un football de calculateur. On joue le 0-0. Ici, à Eindhoven, c’est impensable. Nous entrons sur le terrain avec la ferme volonté d’inscrire un maximum de buts. Ça me convient. »

L’aventure de Sören Lerby en Principauté aura donc tourné court. 31 matchs disputés toutes compétitions confondues pour quatre buts inscrits et une cinquième place finale en D1. L’international danois s’en va par la petite porte pour rejoindre le PSV Eindhoven. Un choix de carrière fructueux puisqu’il gagnera dès l’année suivante, en 1988, la Ligue des Champions, ainsi que cinq autres titres nationaux sur ses trois années passées au Philips Stadion. Au même moment, Monaco tournera la page en se jetant dans les bras d’un autre phénomène du football, un certain Glenn Hoddle.

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