La semaine dernière, l’AS Monaco a officialisé la venue d’Adi Hütter au poste d’entraîneur, en remplacement de Philippe Clement, démis de ses fonctions un mois plus tôt. L’Autrichien, libre depuis un an et sa dernière expérience au Borussia Mönchengladbach, doit remettre de l’ordre au sein d’un groupe qui a terminé la saison précédente en roue libre et qui risque d’être profondément remanié.
Âgé de 53 ans, Adi Hütter sévit sur les bancs depuis désormais un peu plus de 15 ans. Après des débuts avec les jeunes du Red Bull Salzbourg, il a passé cinq années à se jauger au plus haut niveau de son pays, au Rheindorf Altach (2009-2012) puis au SV Grödig (2012-2014), où il a d’ailleurs réalisé quelques prouesses en parvenant à obtenir une promotion pour sa première saison, puis une qualification pour la Ligue Europa lors de sa deuxième saison. Des performances remarquées qui lui ont valu d’être repris au RB Salzbourg, mais cette fois pour diriger l’équipe première. Avec la meilleure formation du pays, Hütter va réaliser le doublé coupe-championnat en 2015, pour sa seule saison là-bas.
Une réputation quelque peu ternie en Allemagne
Hasard de l’histoire, Hütter aurait pu croiser la route de l’AS Monaco quelques années plus tôt. En août 2015, l’ASM affronte et élimine les Young Boys de Berne au troisième tour préliminaire de la Ligue des champions. À ce moment-là, Adi Hütter n’est pas encore sur le banc suisse. C’est cette élimination, couplée à une entame de saison catastrophique, qui va coûter sa place à son prédécesseur Uli Forte, et c’est en septembre que l’Autrichien atterrira sur le banc de Berne. Avec succès, puisqu’il redressera parfaitement la situation en terminant deux fois vice-champion avant d’être récompensé du titre en 2018.
EN BREF
Adi Hütter – 53 ans – Né à Hohenems
Parcours d’entraîneur
2007-2009 : RB Salzbourg (jeunes)
2009-2012 : SCR Altach
2012-2014 : SV Grödig
2014-2015 : RB Salzbourg
2015-2018 : BSC Young Boys
2018-2021 : Eintracht Francfort
2021-2022 : Borussia Mönchengladbach
Palmarès
Champion de D2 autrichienne (2013)
Champion d’Autriche (2015)
Coupe d’Autriche (2015)
Champion de Suisse (2018)
Auréolé d’un nouveau titre majeur, Hütter va ensuite s’engager avec l’Eintracht Francfort, où il succédera à un certain Niko Kovac. Alexis Menuge, correspondant en Allemagne pour le journal L’Équipe, se souvient de son arrivée dans la Hesse et de ses débuts délicats : « Il a prôné la continuité avec le travail de Niko Kovac. Mais il s’est retrouvé sur la sellette très rapidement, après deux défaites, dont une élimination en Coupe contre une équipe de division inférieure (0-5 contre le Bayern Münich et 1-2 contre le SSV ULM 1846), qui faisaient suite à une préparation catastrophique en termes de résultats. » Avant de redresser la barre avec une série de 11 matches sans défaite, dont dix victoires.
Avec Francfort, Hütter va signer des résultats probants pendant trois saisons, en terminant 7e, 9e puis 5e, mais surtout en atteignant les demi-finales de la Ligue Europa en 2019, éliminé par Chelsea, le futur vainqueur de l’épreuve, et non sans avoir battu deux fois Marseille lors de la phase de groupes : « Il s’est révélé à Francfort, où il est adoré et populaire, nous a confiés Alexis Menuge. C’est sa belle période là-bas qui prédomine en Allemagne mais il est parti par la petite porte. Et l’année catastrophique à Mönchengladbach a terni son image. » Fort de trois saisons convaincantes à l’Eintracht, Hütter va en effet être débauché par le Borussia Mönchengladbach pour près de sept millions d’euros, mais ce mouvement ne réjouira pas tout le monde outre-Rhin, loin de là.
Un besoin de se relancer
L’expérience à Gladbach ne s’étendra pas au-delà d’une saison pour Hütter. La greffe ne prend pas et l’ambitieux Borussia ne termine la saison qu’à une modeste 10e place en Bundesliga : « Ses joueurs n’acceptaient pas trop ses consignes et il était frustré de ne pas retrouver en match le plan de jeu travaillé à l’entraînement, relate Alexis Menuge. Il était venu pour former un duo avec le directeur sportif, Max Eberl, qui est parti en plein milieu de la saison, en dépression. Son successeur n’avait aucune expérience du poste… »
Hütter n’a pas caché le peu d’attrait pour son passage là-bas lors de sa présentation à la presse la semaine dernière : « Je suis parti de Francfort pour Mönchengladbach où on m’avait promis beaucoup de choses. Mais le directeur sportif qui m’a fait venir est parti au bout de trois mois. Ça n’a pas été facile. On jouait un jeu ennuyeux avec de la possession dans notre moitié de terrain. J’ai demandé de faire venir des joueurs plus adaptés à ma philosophie mais le nouveau directeur sportif n’était pas d’accord avec moi. »
Pour Alexis Menuge, Monaco représente surtout une opportunité de repartir de l’avant pour l’Autrichien, après une année de césure : « Il a un sentiment de revanche et il aura moins de pression. Monaco, c’est peut-être le club idéal pour se relancer. Son année sabbatique semble lui avoir fait du bien. Il va pouvoir travailler dans des conditions sereines, c’est ce qu’il lui faut après ce qu’il a vécu. Sur un plan local, que ce soit à Francfort ou à Gladbach, il y a énormément de pression. » Mais le correspondant du quotidien prévient qu’une bonne complémentarité de travail avec son directeur sportif sera nécessaire : « Il faudra voir si Scuro est capable de répondre à ses attentes. »
Intransigeant sur le comportement
Si Philippe Clement avait souvent mis en avant sa capacité à se montrer proche de ses joueurs, il a eu du mal à durcir le ton et faire preuve de poigne auprès de son groupe quand celui-ci s’est relâché. Les mises à l’écart de Wissam Ben Yedder, pour avoir manqué une réunion tactique, et d’Ismail Jakobs, pour ses frasques nocturnes en marge du Grand Prix de Monaco, ont surtout été impulsées par le club. Avec Adi Hütter, les choses risquent d’être bien différentes, comme le confie Alexis Menuge : « Il peut être assez radical et assez sévère. Avec lui, tu peux faire un écart mais pas deux. Il met beaucoup de pression et il est capable de prendre des sanctions, comme cela a été le cas avec Kevin-Prince Boateng à Francfort. Il faudra être assez discipliné. »
« J’ai aimé la franchise d’Hütter »
Alassane Pléa, attaquant du Borussia Mönchengladbach dans L’Équipe
Le technicien a d’ailleurs prévenu à son arrivée qu’il attendait de ses joueurs une attitude irréprochable, même s’il n’a pas voulu s’attarder sur le passif des uns et des autres : « J’ai entendu parler des problèmes de comportement. Nous ne parlons pas du passé. C’est mon travail d’imposer une discipline à notre équipe et le comportement sera important. » À l’instar des louanges tressées à Kovac après sa première saison, Hütter peut être qualifié de sévère mais juste. Dans L’Équipe, Alassane Pléa a par ailleurs loué l’honnêteté de celui qui l’a dirigé à Gladbach : « J’ai aimé la franchise d’Hütter, ce n’est pas le cas de tous les entraîneurs. »
L’attaquant de la formation allemande a apprécié la dimension humaine de son ancien coach : « C’est quelqu’un de très bien, de très cool avec ses joueurs. Il provoque toujours la discussion, il aime savoir ce qu’on ressent et ce qu’on veut. » L’ancien Monégasque Almamy Touré, qui l’a connu à Francfort, pense qu’il lui reste une marge de progression dans certains aspects de la gestion du groupe, comme évoqué à Nice-Matin : « Il peut progresser dans la gestion des joueurs moins utilisés. On jouait tous les trois jours et il ne pouvait pas satisfaire tout le monde, mais il avait plus de facilité à parler avec ceux qui faisaient la différence. »
Un jeu énergivore et risqué
Adi Hütter sera exigeant avec ses joueurs sur le plan de l’attitude mais également sur la dimension physique. Une condition sine qua non pour pouvoir jouer avec l’intensité qu’il demande. Alassane Pléa se rappelle d’ailleurs avoir été mis à l’écart quelques semaines pour cette dernière raison, signe que l’Autrichien ne fait aucun cadeau : « Il ne me trouvait pas bien physiquement pour participer au pressing ou au replacement défensif. Il m’a demandé d’en faire plus pour retrouver ma place. » Alexis Menuge renchérit : « Il demande une condition physique parfaite, c’est la base, et je pense que ça va travailler dur du côté de Monaco cet été. »
Malgré un passage au RB Salzbourg, Hütter n’est pas un entraîneur lié à la galaxie Red Bull et n’est pas perçu comme tel en Allemagne. Ses principes de jeu, en revanche, s’accordent bien à cette philosophie. Intensité, pressing et gegenpressing, ainsi que verticalité, sont les mots-clés qui peuvent caractériser le style d’Hütter et celui-ci présente de fortes similitudes avec la philosophie Red Bull apportée à l’ASM par Paul Mitchell, depuis reprise par son successeur Thiago Scuro lui aussi issu du même sérail.
Pour Hütter, l’idée est surtout de produire un jeu attractif sans avoir peur de prendre des risques : « Il a le goût du risque, c’est l’école Red Bull, nous assure Alexis Menuge. Il prend le risque de jouer très haut et se projeter aussi vite que possible vers l’avant. Avec Gladbach, il a pris quelques tôles en prenant trop de risques, mais il peut aussi mettre 4 ou 5-0 à Dortmund. C’est un jeu attractif et spectaculaire. »
Interrogé par Nice-Matin, Yoric Ravet, qui évolue désormais au niveau amateur et a été attaquant pour les Young Boys lorsque Hütter y entraînait, confirme la volonté du technicien autrichien de mettre ses éléments offensifs dans les meilleures dispositions possibles : « Je ne retiens que du positif. Il veut un style offensif et c’est le type de coach qui préfère gagner 3-2 plutôt que 1-0. Sa volonté de récupérer le ballon haut, près du but adverse, c’était super. Il fait tout pour que ses offensifs cartonnent. » Adepte du 3-4-2-1, cela lui permet également de donner à ses pistons beaucoup de libertés offensives et d’écarter le jeu.
L’analyste Joris Crolbois pointe cependant un manque de variété dans son jeu, avec des circuits de passes répétitifs et qui deviendraient trop lisibles pour l’adversaire. Un constat partagé par Alexis Menuge : « Quand Gladbach avait le ballon, son équipe avait du mal à faire le jeu et ne savait pas toujours quoi faire avec. Lorsqu’il joue contre des blocs bas, il n’a pas forcément de plan B. Mais contre de grandes équipes, ça déçoit rarement. Il reste fidèle à son style en projections très rapides. »
Mathias Ribeiro, dans son décryptage pour L’Équipe, apporte une nuance sur l’animation offensive et a noté une progression dans le jeu avec ballon lors de son passage à Mönchengladbach et un usage moins fréquent du jeu long. Il indique aussi que les équipes d’Hütter « font régulièrement décrocher un milieu pour apporter supériorité et qualité à la première passe ». Mais l’Autrichien devra aussi s’adapter à son effectif, car ce profil technique ne se trouve pas forcément à l’ASM.
Embolo en leader ?
À Monaco, Adi Hütter retrouve Breel Embolo, un joueur qui lui a donné satisfaction à Mönchengladbach. L’international suisse, qui s’est parfaitement intégré au vestiaire monégasque et a affirmé sa personnalité positive, a tout pour devenir le leader de l’attaque asémiste, alors que le cas de Wissam Ben Yedder est épineux pour plusieurs raisons, mais surtout une extra-sportive. Le style d’Embolo correspond bien à ce que Hütter veut installer et notamment fournir un point d’appui imposant en attaque dans le jeu long et la recherche de la profondeur.
L’attaquant de la Nati a lui aussi apprécié sa saison sous la direction d’Hütter et a assuré à l’agence de presse suisse ATS, avoir gardé un bon contact avec lui lors de l’année écoulée : « J’ai le souvenir d’un entraîneur qui a misé pleinement sur moi, qui a su me comprendre. Nous avons gardé depuis une année un contact téléphonique régulier. (…) Je suis un n°9 classique. Murat Yakin l’a compris comme Adi Hütter à Gladbach. » La présence d’Embolo pourrait être utile à Hütter, comme celle d’Hütter pourrait l’être pour Embolo : « C’est quelqu’un qui doit être cadré au niveau privé, indique Alexis Menuge. Mais il part peut-être avec un avantage grâce à la langue et la compréhension. »
Se rassurer en défense
La saison dernière, l’attaque avait bien fonctionné (Monaco avait terminé deuxième meilleure attaque du championnat, NDLR) malgré une animation offensive ennuyeuse, et a longtemps permis de rattraper les errances défensives. C’est sur cet aspect qu’Hütter veut se focaliser, comme il l’avait confié lors de sa présentation : « On va devoir être attentif à l’aspect défensif car on a encaissé trop de buts l’an dernier. Nous allons devoir passer du temps à travailler en défense mais si nous savons presser haut, nous pourrons développer le football inspirant et agressif qui plaît aux supporters. »
Et c’est sur le pressing à la récupération que l’on devrait voir l’ASM changer le plus par rapport à la saison dernière. L’équipe de Philippe Clement n’était pas très active sur cet aspect du jeu et a beaucoup manqué d’agressivité à la perte du ballon, ce qui contrastait déjà fortement avec ce que cherchait à mettre en place Niko Kovac avant lui. Le pressing tout-terrain et très haut que demande Hütter sera le premier élément permettant à l’ASM d’être plus efficace en défense. Pourtant, Yoric Ravet alerte sur cette approche qui peut coûter cher : « On prenait parfois le bouillon contre des adversaires qui avaient une belle maîtrise technique. Il suffit qu’un mec ne suive pas le mouvement et tu peux te retrouver en difficulté face aux clubs capables de déjouer le pressing ».
Un pressing haut et beaucoup de joueurs aux avants postes c’est bien. Mais ça peut s’avérer fatal. Sur la 1ère séquence la première ligne de pressing est éliminée, décalage créé, but. Sur la 2e, Beaucoup de joueurs devant, ballon perdu, but aussi. pic.twitter.com/FXdrBLVuo1
— Joris Crolbois ☨ (@JorisCrolbois) July 4, 2023
Sur ce point, la défense Monégasque aura là aussi des manques, avec des joueurs qui n’ont ni l’aisance pour jouer haut et défendre loin de leur but, ni la vitesse pour couvrir une moitié de terrain. Un paradoxe enfin, puisque Hütter souhaite se concentrer en premier lieu sur la solidité défensive alors que ses équipes sont loin d’être des modèles d’hermétisme. Avec lui à sa tête, Mönchengladbach a terminé 16e défense de Bundesliga en encaissant 61 buts. Si Hütter doit faire progresser la défense de Monaco, nul doute qu’il va devoir lui aussi passer un cap dans son approche.
